La contrainte de l’exil et la privation de liberté durant la Seconde Guerre mondiale n’ont pas réussi à entraver l’écriture, au contraire. Les auteurs de cette sélection ont su intégrer dans leurs pièces de théâtre les sentiments provoqués par la guerre mêlés à leurs doutes personnels, créant ainsi des oeuvres marquantes. Ces pièces sont parfois issues d’un esprit meurtri par l’amour, ou bien ennuyé, souffrant des restrictions de l’Occupation. Elles peuvent aussi être issues d’une pulsion résistante. Les inspirations varient, mais pas de doute : ces cinq pièces sont le produit de méditations bien inspirées.
Huis clos, Jean-Paul Satre
Lecteurs angoissés, cette pièce est pour vous ! Trois personnages se retrouvent en enfer, confinés dans une même pièce sans qu’ils l’aient choisi. Perplexes, ils entament la conversation et essaient de comprendre les raisons qui les réunissent en ce lieu. Après quelques discussions, les personnages se rendent compte non seulement de leurs caractères et origines très différents, mais aussi de leur incompatibilité. Alors qu’ils se confondent les uns les autres, on finit par apprendre les actes responsables de leur présence en enfer. La tentation de quitter leur cellule arrive alors, mais ils sont condamnés à ne jamais en sortir, prisonniers du jugement des autres.
Ecrite en 1943 sous l’occupation, Huis clos est une fiction représentante du mouvement existentialiste. C’est de cette pièce qu’est issue la phrase bien connue « L’enfer, c’est les autres », qui exprime toute la torture psychologique à laquelle sont confrontés les personnages, contraints de passer chaque minute du reste de leur mort face à un reflet méprisable d’eux-mêmes. Ces sentiments d’enfermement et de perte d’humanité font écho à la propre expérience de Sartre au début de la guerre, alors qu’il était détenu dans un camp en Allemagne. Recruté par Camus, il rejoint ensuite le réseau résitant Combat. Il écrit au sein des Lettres françaises en septembre 1944 :
« Jamais nous n’avons été aussi libres que sous l’occupation allemande… puisqu’une police toute puissante cherchait à nous contraindre au silence, chaque parole devenait précise comme une déclaration de principe ; puisque nous étions traqués, chacun de nos gestes avait le poids d’un engagement. »
Huis clos est joué en ce moment au Laurette Théâtre à Paris alors n’hésitez pas à prolonger l’expérience !
Antigone, Jean Anouilh
Jean Anouilh reprend le mythe antique bien connu d’Antigone, la fille d’OEdipe qui veut honorer son défunt frère, s’opposant ainsi au roi Créon qui lui interdit un enterrement. Dans cette réécriture, l’auteur, admirateur de la pièce de Sophocle, adapte le mythe grec à l’aune des événements de la guerre, ou selon ses mots « à la lueur des premiers attentats terroristes, mais surtout comme une variation, à partir du chef-d’œuvre de Sophocle, sur le pouvoir et la révolte ».
L’assassinat raté de Pierre Laval et Marcel Déat par le résistant Paul Collette le 27 août 1941 est une de ses inspirations. Cette tentative, vouée à l’échec, contenait toute la ferveur de l’engagement d’un individu envers une cause. La loyauté qui animait le résistant figure également chez Antigone, qui défend son frère jusqu’à sa perte. Ecrite entre 1941 et 1942, elle sera ensuite mise en scène en 1944 au Théâtre de l’Atelier et usera de références aux occupants nazis ; les gardes sont vêtus de cirets noirs semblables à ceux de la Gestapo. Antigone est le symbole d’une résistance nécessaire contre un ordre injuste.
L’Apollon de Bellac, Jean Giraudoux
Cette courte pièce – elle n’a qu’un acte – à l’intrigue sommaire évoque les relations entre hommes et femmes. On y voit Agnès, une jeune femme, désireuse d’obtenir une place dans la salle de dépôts des petites et grandes inventions. De nature maladroite, elle peine à passer la barrière de l’huissier. Un homme de Bellac lui conseille alors d’user de la flatterie et de comparer ses interlocuteurs masculins à l’Apollon de Bellac, une statue grecque fictive. Elle décide d’appliquer cette formule qui se révèle particulièrement efficace. En un rien de temps, elle obtient un entretien avec le président qui, entiché, est prêt à non seulement limoger sa secrétaire pour donner le poste à Agnès, mais également à quitter sa femme pour l’épouser.
Ecrit en 1942, L’Apollon de Bellac allie une histoire d’une apparente légèreté à des réfléxions plus profondes. Moins engagé que les deux pièces précédentes, il partage avec Huis clos une analyse des rapports humains axée autour de l’image de soi. Dans les deux oeuvres, les protagonistes ont besoin du regard des autres pour exister entièrement. Giraudoux traite ici du pouvoir et de la manipulation qui peuvent en résulter.
La Résistible ascension d’Arturo Ui, Bertolt Brecht
La Résistible Ascension d’Arturo Ui raconte l’histoire du héros éponyme qui cherche à imposer sa domination sur le trust des choux-fleurs de Chicago. Brecht utilise le cadre américain de la montée du crime et y transpose la montée au pouvoir d’Hitler à travers le personnage d’Arturo Ui. Sans tomber dans la caricature, la pièce documente les rouages qui permirent cette ascension. Les bras droits d’Hitler sont également présents dans la pièce : Hermann Göring devient Ermanuel Gori, Joseph Goebbels devient Giuseppe Gobbola, Ernst Röhm devient Ernesto Roma, et comme eux, d’autres éléments allemands importants obtiennent leur alter ego sicilien. A coups d’intimidations, Arturo arrive à ses fins et finit par étendre son influence à Cicero (l’Autriche). Brecht retrace la lenteur du processus et la cécité collective qui bénéficièrent à la croissance de l’emprise d’Hitler.
Exilé en Finlande en 1941, Brecht écrit la pièce en trois semaines. Il avait été déchu de sa nationalité allemande en 1935 par le régime nazi en raison de son engagement marxiste. Dans l’épilogue de La Résistible ascension d’Arturo Ui, il y tire cette leçon :
« Vous, apprenez à voir, plutôt que de rester les yeux ronds… Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde »
Le Malentendu, Albert Camus
L’histoire est celle de deux aubergistes, Martha et sa mère, qui à défaut de remplir leur devoir d’hospitalité, tuent leurs clients dans leur sommeil afin de les dépouiller. Elles poursuivent ainsi leur quête de richesse, rêvant de s’extraire de leur quotidien morne et de gagner des contrées ensoleillées. Le malentendu intervient lorsque le fils, parti depuis vingt ans, se rend dans cette auberge sans s’annoncer, dans un espoir de retrouvailles familiales spontanées. Tout naturellement, il se fait assassiné à son tour. Lorsque son identité est découverte, la mère se suicide dans un élan de désespoir. La fille, en veut d’abord à sa mère de l’avoir abandonnée, mais se résignant, confrontée à l’absurdité de la situation, elle finit par la rejoindre.
Cette pièce aux allures de tragédie grecque s’inscrit dans le cycle de l’absurde de Camus qui constitue un réflexion sur la condition humaine. Il y évoque la solitude, celle qui génère le malentendu et qui pousse le fils à retisser un lien avec sa famille ; mais aussi l’amour défaillant. Albert Camus écrit cette pièce entre 1942 et 1943 dans le village du Chambon-sur-Lignon, où il soigne sa tuberculose. Il y observe la résistance non violente à l’occupation allemande mise en œuvre par la population qui lui inspirera aussi son roman La Peste. Il prendra par la suite la direction du journal clandestin Combat.
Si vous n’avez pas eu votre dose de théâtre nous vous encourageons à consulter notre sélection de pièces à ne pas manquer !